
Tyler Los-Joes

L’exposition Regardez lentement et tout ce qui bouge réunit des images et des objets issus de recherches sur le paysage maritime changeant de l’Île-du-Prince-Édouard. En 2017, Tyler Los-Jones, artiste basé à Banff, dont le travail explore les fondements formels de notre relation avec le monde naturel, a entrepris une résidence de recherche durant laquelle il a exploré l’histoire naturelle de l’Île par des visites de sites et des discussions avec des membres de la communauté étroitement concernés par l’état passé, présent et futur du paysage local. Soucieux de représenter avec trop de désinvolture un lieu avec lequel il n’entretenait pas de relations personnelles fortes (jusqu’alors, son travail avait porté principalement sur la géologie du terrain montagneux de l’Alberta), Los-Jones a évité d’extraire des vues esthétiques comment le ferait un touriste, et il s’est plutôt employé à établir de nouveaux genres de liens avec la terre et l’eau, par la lente accumulation de rencontres et d’idées
L’exposition qui en résulte présente des photographies et des sculptures encadrées par une architecture de présentation énigmatique qui agit comme une structure pour suspendre des œuvres en l’air. Des photographies composites faisant référence à des moules dans un boudin – architecture en suspension qui grandit lentement – sont suspendues à des structures de présentation qui déploient les textures et les formes des pergolas et des tables de pique-nique du bord de mer; ces objets imitent la logique orthogonale de l’immense salle et les tons chauds de son plancher de bambou. Les structures créent des zones délimitées dans l’espace, mais sont incomplètes dans leur géométrie, génératrices de points de vue changeants, et surtout poreuses, produisant des vues en couches de l’image, de la structure et de l’architecture. D’autres photographies suspendues représentent des lichens, adjacents à des filets faits d’ammophile, plante qui stabilise les dunes; une autre œuvre est faite de sable moulé dans les modèles géométriques que l’on retrouve dans les matériaux qui stabilisent les dunes. Dans l’ensemble, l’installation possède les caractéristiques d’une construction fragile et ouverte, à la fois solide et légère, bâtie pour garder sa forme tout en laissant passer les choses.
Les fils délicats qui relient les éléments de Regardez lentement et tout ce qui bouge sont nés de la recherche de stratégies formelles adaptées à l’écologie de l’Île. Pendant sa résidence, l’artiste a observé une impulsion constante de stabiliser les limites et les structures marines changeantes et perméables de l’Île par des moyens de fixation semi-poreux utilisés par des organismes allant des lichens et des plantes aux travaux humains comme la pose de filets et de géotextiles pour l’aquaculture et la lutte contre l’érosion. L’approche de Los-Jones à la formation – la constellation d’images, d’objets et la façon dont ils sont présentés – s’est développé par analogie avec l’environnement représenté; l’artiste a travaillé sur sa relation avec un paysage inconnu en s’appuyant sur les morphologies des différents processus humains et non humains qui interagissaient pour le modeler et le déformer.
L’idée de « regarder lentement » incarnée dans la méthode de Los-Jones qui consiste à laisser l’environnement façonner sa représentation, est née d’un engagement critique de longue date avec la photographie de paysages, et d’un désir de l’ouvrir à d’autres approches ou façons de comprendre le processus photographique. Depuis l’invention de la photographie, le paysage a été soumis aux « attentions constantes de l’appareil photo » pour emprunter les propos de Susan Sontag. Héritant d’une rhétorique visuelle du point de vue de l’imagerie romantique, la photographie de paysages qui a si profondément façonné notre relation avec l’environnement a fait en sorte que la « nature » est devenue une fonction ou une extension de l’expérience humaine d’une manière analogue à notre volonté écrasante et dangereuse de transformer l’environnement. En même temps, la photographie a cependant également été considérée comme une forme de création d’images non humaines et autogènes, la préservation d’une empreinte littérale de la nature, faite par la nature. Son pouvoir rhétorique en tant que technique objective découle en grande partie de cette compréhension matérialiste de la photographie en sa qualité de résultat d’un processus physique. C’est donc un cadre idéal pour intervenir, pour réimaginer notre représentation du monde dans un continuum de formation et de déformation, de reproduction et de préservation. Les premières œuvres de l’artiste consistaient à manipuler et à redéployer la photographie de paysage selon des modes d’exposition inattendus qui déstabilisaient le panorama touristique des Rocheuses. Aujourd’hui, dans Regardez lentement et tout ce qui bouge, la création d’images « naturelles » de la photographie s’est propagée dans l’espace, prenant en compte la rencontre du spectateur avec l’œuvre, la reformulant comme une immersion physique dans une écologie du Musée. L’œuvre de l’artiste déclenche une rétroaction en boucle dans laquelle le processus de saisie ou de fossilisation d’un monde fugace pas toujours humain se révèle être le fondement temporaire d’un autre.
-Pan Wendt, conservateur